Gestion de l'entreprise

L’addiction en entreprise, un sujet encore mal connu

Bertrand Fauquenot est chargé de formation à l'ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et en Addictologie), une association créée en 1872 contre l’abus de boissons alcooliques, devenue une association nationale en addictologie.
#Bien-être salarié #Santé
22 janvier 2015

Bertrand Fauquenot est chargé de formation à l'ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et en Addictologie), une association créée en 1872 contre l’abus de boissons alcooliques, devenue une association nationale en addictologie qui compte un département spécialisé dans les interventions en entreprise.

Manager Attitude : Peut-on parler d’une montée en puissance des addictions en milieu professionnel ?

Bernard Fauquenot : L'addiction ne peut pas être considérée comme un problème spécifique à l'entreprise. Il n'existe aucune étude suivie qui établisse un lien de causalité entre milieu du travail et addiction. La seule référence récente est une enquête de l'INPES (Institut National de Prévention et d'Éducation pour la Santé, NDLR) sur les addictions, datant de janvier 2012, menée auprès du grand public. Pour la première fois, l'INPES a recueilli des éléments sur le travail des personnes interrogées, ce qui a permis d'extraire des données sur l'entreprise ou les secteurs d'activité. Il apparaît clairement que le renforcement des conduites addictives est nettement plus important chez les chômeurs que chez les actifs.

Existe-t-il des professions ou des secteurs d’activité plus exposés ?

Bernard Fauquenot : Suivant les substances utilisées, on note effectivement des secteurs d'activité plus exposés que d'autres (voir en bas de page). Mais il faut être prudent, car dans certains secteurs les hommes ou les femmes peuvent être sur-représentés. Or, les conduites addictives et les substances utilisées varient suivant le sexe et les catégories socioprofessionnelles, entre autres.

Tant que le salarié reste performant, l’entreprise a tendance à ignorer le phénomène

 

L'addiction en entreprise est-elle un sujet tabou ?

Bernard Fauquenot : Le terme est trop fort. En revanche, on peut parler de résistance ou de déni de la part les décideurs et des autres. Notre expérience montre que tant que le salarié reste performant, l'entreprise a tendance à ignorer le phénomène. C'est d'autant plus vrai pour certains alcools dans un pays comme le nôtre où la culture gastronomique est très forte…

Est-ce à dire que le sujet n'est pas traité ?

Bernard Fauquenot : Jusqu'au milieu des années 2000, la question des addictions dans l'entreprise était effectivement très peu traitée. Les choses ont changé lorsque la directive du 12 juin 1989 qui impose d'évaluer les risques professionnels a commencé à produire ses effets. La prise de conscience déclenchée par l'application de cette directive a notamment rendu les juges plus sévères à l'encontre des employeurs et des employés.

L'addiction commence donc à s'inscrire dans la politique de prévention des risques et de la santé au travail. Certaines pratiques ont disparu : par exemple, sur les chantiers, on ne fournit plus aujourd’hui de bière aux ouvriers.

Les collectivités territoriales semblent les plus attentives à ce sujet, certainement parce que les agents sont en contact avec différents publics. Les grandes entreprises ont également beaucoup progressé. En revanche, nous avons du mal à travailler avec les PME, et notamment les plus petites d'entre elles, qui ont peu de moyens à y consacrer.

Toujours inscrire l'addiction dans une démarche globale de prévention des risques professionnels

 

Comment aborder la question de l'addiction en entreprise ?

Bernard Fauquenot : Je recommande de toujours inscrire l'addiction dans une démarche globale de prévention des risques professionnels. Si l'on sort de ce cadre, on risque de partir dans tous les sens.

Par exemple, de nombreux employeurs commencent par vouloir contrôler la consommation de drogues en soumettant les salariés à des éthylotests et des tests de cannabis. Oui, l'employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, mais le contrôle ne doit pas porter atteinte aux libertés individuelles. L’entreprise doit respecter la sphère privée.

Le contrôle ne peut être qu'un outil utilisé dans le cadre d'une politique globale de prévention qui vise à réduire les risques et les supprimer. Cela passe par des campagnes d'information et de sensibilisation, par l'harmonisation des messages délivrés, par de la formation, notamment celle des managers… Enfin, il est essentiel de faire collaborer tous les acteurs concernés : l'employeur, les représentants des salariés, notamment les élus du CHSCT s'il en existe un, et les services de santé au travail. Depuis juillet 2011, ces derniers ont d'ailleurs vu leur mission élargie à la prévention des alcools et des drogues.

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Qui consomme quoi ?

Selon l'enquête de l'INPES, 16,4 % des actifs consomment de l'alcool sur leur lieu de travail (18,9 % des hommes, 10,3 % des femmes). C'est dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche (16,6 %), et de la construction (13,4 %), que la consommation quotidienne est la plus importante.

Concernant le cannabis, les arts et spectacles arrivent en tête de l'usage au cours de l'année, avec 16,6 %, devant la construction, 13 %, et l'hébergement et la restauration, 12,9 %. Des chiffres à comparer avec un usage annuel de 6,9 % en moyenne pour l’ensemble des actifs.

Quatre secteurs présentent des consommations inférieures à la moyenne des actifs : l'administration publique, l'enseignement, la santé humaine et l'action sociale, les activités de services des ménages.