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Rugby et motivation, avec Pierre Salviac

Pierre Salviac suit le rugby depuis trente ans et reste une des grandes voix du Tournoi des Six Nations. Et s’il a connu des capitaines et des entraîneurs plus motivants que d’autres, comme Jacques Fouroux, il n’a pas de recette miracle à nous donner : juste un cocktail équilibré entre respect des individus et de leur singularité, amour du maillot, et parole rare et juste. Par-dessus tout, la passion pour le beau jeu, seul capable d’engendrer de belles victoires.
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03 février 2017

Pierre Salviac suit le rugby depuis trente ans et reste une des grandes voix du Tournoi des Six Nations. Et s’il a connu des capitaines et des entraîneurs plus motivants que d’autres, comme Jacques Fouroux, il n’a pas de recette miracle à nous donner : juste un cocktail équilibré entre respect des individus et de leur singularité, amour du maillot, et parole rare et juste. Par-dessus tout, la passion pour le beau jeu, seul capable d’engendrer de belles victoires.

Manager Attitude : Alors que débute le Tournoi des Six Nations ce week-end, il est intéressant de s’interroger sur les ressorts de la motivation d'une équipe de rugby, et sur le rôle de l’entraîneur. Vous avez commenté le Tournoi pendant presque trente ans. Qu’avez-vous observé ?

Pierre Salviac, journaliste sportif (*) : D’abord, il faut rappeler une vérité jamais démentie : les bons entraîneurs ne sont rien sans de bons joueurs. Après, il y a bien sûr des entraîneurs plus entraînants que d’autres. Jacques Fouroux, par exemple, en est l’archétype. Il était très écouté, que ce soit en tant que capitaine d’abord, puis en tant que coach. A l’inverse, un Philippe Saint-André pouvait bien parler des heures…

Manager Attitude : Les grands entraîneurs ont-ils des recettes ?

Pierre Salviac : Plutôt un style. Mais en réfléchissant à votre question sur la motivation, je me rends à une évidence : les apostrophes du genre « Allez les gars, on est au pied du mur et maintenant il faut le construire » ou les « Plus de fautes maintenant, on donne trop de points », ou encore les coups de pieds dans la glacière, cela ne marche jamais bien longtemps. Ils le savent bien, les joueurs, qu’ils ne doivent pas faire de faute !

Ce qui se dit dans les vestiaires ne sort pas des vestiaires"

Cela vous paraîtra bizarre, et pourtant c’est logique : le plus efficace reste encore de faire appel à la solidarité de l’équipe quand un deuil frappe l’un des leurs. On ne peut pas espérer cela tout de même ! Cependant je dois vous dire que je n’ai jamais assisté à une causerie à la mi-temps. Ce n’est pas faute d’avoir demandé d’ailleurs. Mais il y a une règle dans ce sport : ce qui se dit dans les vestiaires ne sort pas des vestiaires.

Je n’y connais qu’une exception, restée fameuse du coup : c’est le discours qu’à tenu Mac Geechan, entraîneur d’origine écossaise de l’équipe des Lions Britanniques à la mi-temps d’un match joué en 1997. C’est impressionnant de voir à quel point il parle doucement, sans pathos mais avec fermeté, en s’adressant à la fois à tous et à chacun. Et les joueurs qui l’écoutent si attentivement (visionner la scène).

Manager Attitude : L’amour du maillot reste une valeur sûre en termes de motivation ?

Pierre Salviac : Sans doute, mais pas autant qu’on pourrait l’imaginer. Si je pense aux joueurs de rugby il y a trente ans, qui représentaient leur région dans le championnat, alors oui, porter les couleurs de telle ou telle ville signifiait quelque chose. D’autant qu’ils n’étaient pas professionnels et que le lundi, ils retournaient à l’usine ou au bureau travailler avec des gens qu’ils avaient représentés sur le terrain la veille. Aujourd’hui, comment voulez-vous que les mercenaires venus de l’hémisphère sud pour déferler sur le Top 14 et la Pro D2 aient ce lien avec la ville où ils jouent ?

L’amour du maillot national, c’est parfois compliqué aussi. Par exemple, le célèbre ouvreur argentin Quesada, à l’époque où les Pumas n’étaient pas encore une grande nation du rugby, m’avait expliqué la motivation de son équipe sur le terrain par une volonté des joueurs de se « racheter » aux yeux de leur peuple. Parce qu’ils jouaient tous en Europe alors que le pays s’enfonçait dans la crise économique et qu’ils avaient pu donner l’impression de le fuir.

Manager Attitude : On imagine aussi que le dialogue « homme à homme » est un incontournable de la motivation ?

Punition : privé de fromage"

Pierre Salviac : Il est certain que la connaissance, par l’entraineur ou le capitaine, du fonctionnement de chacun constitue un atout. C’est ainsi que Jacques Fouroux, mécontent de la prestation du pilier Jean-Pierre Garuet lors d’un test match contre les All Blacks, l’avait privé de fromage pendant toute une semaine… avant la revanche de la semaine suivante !

Il faut aussi que le leader sache prendre la défense de ses joueurs. Je me souviens de Fouroux, toujours lui, se faisant l’avocat d’Ali Benazzi qui s’était fait expulser lors de sa première sélection en Australie, afin de limiter la durée de sa suspension. Il avait été tellement convaincant que les instances s’étaient montré particulièrement clémentes.

Manager Attitude : La solidarité, dans une équipe, c’est aussi un facteur de motivation ?

Pierre Salviac : Bien sûr. C’est moins évident aujourd’hui, où le développement de la puissance musculaire dans toutes les lignes fait que presque tous les profils de joueurs, de l’arrière jusqu’aux avants, va au contact. Mais dans le passé, il y avait clairement des gars devant, qui prenaient les coup, et des artistes derrière. Sans solidarité, comment vouliez-vous que cela fonctionne ?

N’oubliez pas qu’historiquement, le rugby à XV c’était un sport britannique où les cols bleus jouaient devant et se faisaient marcher dessus, tandis que les cols blancs faisaient les beaux, derrière. C’est bien pour cela que les premiers ont fini par inventer le rugby à XIII : ce n’est pas forcément très joli à regarder mais au moins, tout le monde souffre pareil.

Manager Attitude : Finalement, est-ce que la motivation ne nait pas tout simplement de l’enjeu, avec le risque que le manque d’enjeu tue la motivation ?

La défaite ne vous tuera pas »

Pierre Salviac : L’enjeu tue surtout le jeu. Aujourd’hui les entraîneurs ne sont plus des éducateurs, ce sont des coachs qui ne veulent pas perdre.

Je crois qu’il faut au contraire répéter aux joueurs « Allez-y, jouez, jouez, jouez. Le résultat viendra tout seul ». Et la défaite ne vous tuera pas. Parce que sinon, qu’est ce qui se passe ? Les joueurs les plus offensifs, les plus créatifs, ne prennent plus de risques. Vous croyez qu’un Blanco de la grande époque nous aurait autant enchanté s’il avait dû jouer contre son instinct ? Laissons les électrons libres s’exprimer !

Le Tournoi des Six Nations reste à juste titre le plus regardé des grands évènements de rugby. C’est à cause du jeu qui y est développé, très offensif, avec peu de calculs. Et vous savez pourquoi ? Parce que personne ne va descendre en division inférieure à la fin.

Pierre Salviac, né en 1946 à Rochefort (Charente-Maritime), est un journaliste français, ancien commentateur de matchs de rugby à XV et notamment du Tournoi des 5 puis des 6 Nations, sur Antenne 2 (1983-2005). Il avait succédé à ce poste à Roger Couderc. Après son départ de France 2, il devient consultant pour divers médias, parmi lesquels iTélé et l’Equipe 21.