Ressources Humaines

La loi sur les personnes handicapées aide à repenser sa GRH

La plupart des entreprises se sont conformées à la loi sur l’égalité des chances, en particulier les plus grandes d'entre elles.
#DRH #Handicap #Discrimination
19 novembre 2014

La plupart des entreprises se sont conformées à la loi sur l’égalité des chances, en particulier les plus grandes d'entre elles. Certaines ont même découvert que la gestion des personnes handicapées rejaillit positivement sur leur gestion des ressources humaines, au niveau du recrutement ou de la GPEEC par exemple. Le point avec l’Agefiph, interlocuteur privilégié des DRH depuis 2005.

Manager Attitude : Voilà presque dix ans qu’a été votée la loi de 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Les entreprises acceptent-elles désormais la règle des 6%, sans plus de difficultés ?

Sylvain Gachet, Directeur Grands Comptes à l'Agefiph (Association de Gestion du Fonds Pour l'Insertion Professionnelle des Personnes handicapées : Si je vous répondais par l’affirmative, vous ne me croiriez probablement pas. Il y a bien sûr encore des dirigeants réticents. Mais leur nombre diminue.

J’ai une centaine de milliers d’établissements dans mon périmètre (à partir de 20 salariés, nombre qui déclenche l’obligation d’employer 6% de personnes handicapées ou d’opérer des mécanismes dits de compensation, NDLR). Nous estimons à 50% environ ceux d’entre eux qui vont au-delà des 6%. Quarante pour cent se situent entre 3 et 6%. Moins de 7,000 n’en ont embauché aucune, ce qui ne signifie pas qu’elles ne font rien. Il y a finalement peu de réfractaires, qui s’acquittent des compensations prévues par la loi (*).

Quatre solutions pour se conformer

 

L’esprit de la loi était, et demeure, très original, dans la mesure où il permet aux entreprises de choisir entre quatre solutions pour se conformer :

  • en respectant le seuil des 6%,
  • en sous-traitant une partie de ses besoins à des entreprises spécialisées dans l’aide par le travail (ESAT), ou des entreprises aidées (EA),
  • en passant des accords de branches avec les partenaires sociaux – sous réserve d’accord de la DIRRECTE -,
  • et bien sûr en s’acquittant de compensations financières auprès de l’Agefiph, qui se charge de gérer les fonds recueillis par ce biais, pour lancer des actions d’insertion des personnes handicapées.

 

Manager Attitude : Ce chiffre de 6%, d’où vient-il ?

Sylvain Gachet : Tout simplement d’une négociation entre les entreprises, les partenaires sociaux, et les représentants des personnes handicapées (PH, NDLR), pour déterminer un taux moyen probable de personnes victimes d’un handicap dans notre société. Autrement dit, la loi estime qu’environ 6% de nos concitoyens en âge de travailler présentent des handicaps. Et certains pensent même qu’il y en a davantage, dans la mesure où l’âge légal de départ à la retraite est progressivement retardé, tandis que l’âge moyen d’apparition d’un handicap n’a pas varié, lui : il reste à 45 ans.

Manager Attitude : Qu'est-ce exactement qu'un handicap ? Que dit la loi ?

Sylvain Gachet : Pour rentrer dans les calculs des 6%, un handicap doit être reconnu, évalué dans une MDPH (maison départementale des personnes handicapées), laquelle dépend de la CDAPH (ex-Cotorep). Cette évaluation va ouvrir des droits – allocation, macaron pour les véhicules, etc. Et elle permet une prise en compte en tant que PH dans les effectifs de l’employeur. A contrario, il faut bien comprendre qu’une personne handicapée qui ne se déclare pas ne peut entrer dans les calculs. Or pour bien des raisons, un certain nombre de PH ne souhaitent pas se déclarer. Et beaucoup ignorent également qu’elles pourraient prétendre à la reconnaissance d’un handicap.

Car la loi de 2005 a vu large - cela fait aussi sa force. Par handicap, elle entend toute déficience, permanente ou temporaire, qui empêche d’exercer son métier si le salarié est déjà en poste, ou qui nécessite une adaptation du poste de travail.

Le handicap inclut donc les déficiences physiques et intellectuelles. Mais aussi les déficiences psychiques – états dépressifs, troubles psychologiques, etc – que les psychiatres jusqu’à récemment conseillaient pourtant à leurs patients de ne surtout pas déclarer à leur employeur. Cela peut concerner des allergies, des conséquences invalidantes d’un accident du travail. Et aussi, il faut y penser, les handicaps survenus suite à une maladie, dont le cancer, par exemple, dont les traitements peuvent être très fatigants.

Un collaborateur déjà en poste peut donc très bien entrer dans le champ de définition d’une personne handicapée. Encore faut-il qu’il le sache, et qu’il le veuille. A l’Agefiph, nous lui conseillons dans tous les cas de faire établir les documents auprès de sa MDPH. Cela prend du temps, mais le salarié conserve le libre choix, une fois qu’il les a obtenus, de les produire ou pas à son employeur.

Manager Attitude : La gravité du handicap entre-t-elle en compte dans le calcul des fameux 6% ?

Sylvain Gachet : Plus maintenant. Aujourd’hui, un non-voyant « compte » autant qu’un malvoyant, même si les conditions d’adaptation de son poste de travail ne sont pas les mêmes. Soyons clair : des personnes handicapées qui ne demanderaient aucune modification du poste de travail, c’est assez rare. L’inverse aussi d’ailleurs. Dans l’immense majorité des cas, il faut des adaptations, mais elles ne sont pas si lourdes : un écran adapté pour un malvoyant, une plage braille pour un non-voyant…

Manager Attitude : Nous comprenons bien, à vous écouter, que les entreprises se sont, bon an mal an, mises en règle depuis 2005. Mais sont-elles parvenues à trouver, peut-être avec votre aide, des points positifs à ce qu’il faut bien appeler de nouvelles obligations ?

Sylvain Gachet : Il y a plusieurs angles pour répondre. D’abord en leur montrant que cette loi leur donne vraiment le choix des moyens pour répondre à leurs obligations. C’est assez rare pour être signalé.

Ensuite, il y a de nombreux avantages pour une DRH à prendre le problème à bras le corps. D’abord, en comprenant que les salariés de l’entreprise sont tous, potentiellement, des personnes handicapées. S'en préoccuper est logique et légitime. La loi, en les « obligeant » à le faire, les prépare donc à la gestion d’une problématique qui va devenir inéluctable avec l’allongement de la vie au travail.

Le handicap, catalyseur d'une réflexion utile à tous

 

Intégrer des personnes handicapées dans une entreprise permet aussi de repenser son fonctionnement, de l’adapter, à la fois sur le plan spatial avec de nouvelles facilités d’accès par exemple, que tout le monde finit par emprunter, mais aussi sur le plan organisationnel. Le handicap devient ici le catalyseur d’une réflexion qui sert à tous, y compris aux personnes non-handicapées. A ce sujet, j’emprunte la formule d’un ami consultant qui parle du handicap dans l’entreprise comme d’un iceberg, dont on traite la partie émergée et visible mais, ce faisant, en aidant tout le monde.

Enfin, le recrutement de personnes handicapées, qui ont souvent des parcours originaux et moins linéaires que les autres, oblige la DRH à se poser de saines questions sur le poids des diplômes comparés à des potentialités cachées. Je dis souvent que l’exercice ouvre un peu les chakras de la DRH à propos des vertus de la diversité par opposition au recrutement de clones !

Manager Attitude : Vos arguments sont effectivement séduisants pour un DRH en position d’anticiper sur son métier. Mais que répondre à une direction générale qui lui parlerait de cette loi comme d’un impôt pur et simple ?

Sylvain Gachet : Trois choses. D’abord, rappeler que la loi offre de nombreuses solutions pour limiter les conséquences financières de la prise en charge de personnes handicapées dans l’entreprise, ne serait-ce qu’en utilisant les services de l’Agefiph. Autrement dit, plutôt que de subir, il y a déjà matière à optimisation.

Ensuite, il faut lui parler des avantages immatériels que nous avons évoqués, comme l’amélioration du recrutement et de la gestion des compétences.

De réels bénéfices de réputation

Enfin, la question de l’image doit s’imposer. Les entreprises qui ont des politiques cohérentes, positives, vis-à-vis des personnes handicapées, en retirent de réels bénéfices de réputation, en particulier auprès de jeunes générations très sensibilisées, et promptes à formuler leurs opinions sur les réseaux sociaux. Il ne faut pas pour autant verser dans l’excès de communication, dans une espèce de PH washing, à l’instar du green washing. Mais la politique menée avec les personnes handicapées entre de plain-pied dans le champ de la RSE. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si les missions handicaps, dans les grands comptes français, sont rattachées pour moitié aux DRH, et pour l’autre moitié, aux directions RSE.

 

(*) : Ces compensations varient de 400 à 600 smic horaires par an, selon la taille de l’entreprise. Elles peuvent monter jusqu’à 1500 smic horaires pour une année, au bout de trois ans d’inaction totale de l’entreprise en faveur de l’emploi des personnes handicapées.