Fiscal et Social

L'entreprise n'a pas à entrer dans les considérations religieuses

Concilier respect de la religion et bien vivre ensemble dans l'entreprise : largement une affaire de bon sens selon Isabelle Barth, directrice générale de l'EM Strasbourg et auteur de "Management et religions", aux Editions EMS.
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08 janvier 2015
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Concilier respect de la religion et bien vivre ensemble dans l'entreprise : largement une affaire de bon sens selon Isabelle Barth, directrice générale de l'EM Strasbourg et auteur de "Management et religions", aux Editions EMS.

Manager Attitude : Le principe de laïcité existe-t-il dans l'entreprise ?

Isabelle Barth, directrice générale de l'EM Strasbourg : Non. Ce qui complique la gestion du fait religieux dans l'entreprise, puisqu'il n'y existe pas d'écran juridique protecteur comme c’est le cas pour les lieux publics.

N'oublions pas que la laïcité est un concept très français. Certains pays, et non des moindres, vivent au rythme religieux. Prenez les Etats-Unis, où il est très difficile de se déclarer athée.

Quels types de problèmes peut poser la religion à une entreprise ?

Isabelle Barth : Tout d'abord, il faut bien préciser que dans la très grande majorité des entreprises, la religion ne pose aucun problème. Les difficultés rencontrées ne concernent qu'une minorité, mais qui peut être agissante.

La religion peut poser question dans quatre domaines. D'abord la gestion du temps : en France nous travaillons suivant le calendrier chrétien, avec un week-end le samedi et le dimanche. Cela ne tient pas compte des fêtes religieuses des autres religions. Ensuite les interdits alimentaires, qui doivent être gérés dans les restaurants d'entreprise. Troisième type de difficulté : la tenue vestimentaire ou l'apparence avec, par exemple, le voile chez les musulmans ou les dreadlocks chez les rastas. Plus généralement, c'est toute la question des signes extérieurs religieux qui se pose.

Enfin, le rapport à la femme peut être source de conflits, notamment dans les rapports hiérarchiques.

Pourquoi la question religieuse se pose-t-elle davantage aujourd'hui ?

Isabelle Barth : C'est essentiellement du à la montée de l'Islam, 2e religion en France, dont le pourcentage de pratiquants est supérieur à celui du catholicisme, notamment chez les jeunes, et qui organise beaucoup la vie quotidienne de ses croyants. Deuxième facteur, la porosité croissante entre la vie privée et la vie professionnelle (blurring, NDLR) conduit à faire entrer la religion dans l'entreprise. Enfin, avec la montée de l'individualisme, la religion devient un marqueur fort.

Comment aborder le phénomène religieux dans l'entreprise ?

Isabelle Barth : L'entreprise n'a pas à entrer dans les considérations religieuses. Son objectif, c'est d'être économiquement et socialement performante. Mais le fait religieux peut parfois mettre en danger le bien vivre ensemble.

Le manager dispose de certaines marges de manœuvre, à commencer par celles que lui donne le code du travail. Ce dernier interdit le prosélytisme en entreprise, et stipule que tout ce qui relève de la religion doit rester en juste proportion avec le métier exercé. En clair, elle ne doit pas gêner l'exercice des missions. Par exemple, une comptable, qui n'est pas en contact avec du public, peut porter le voile. Cela pourra poser problème pour une commerciale qui représente l'entreprise chez les clients. C'est le juge qui définit la juste proportion.

Mais au-delà du code du travail, c'est souvent une affaire de bon sens.

Une affaire de bon sens, vraiment ?

Isabelle Barth : Si chacun y met du sien, et notamment les salariés religieux qui doivent apprendre à s'autoréguler, le fait religieux se gère sans problème. Par exemple, beaucoup de restaurants d'entreprise proposent de la nourriture sans porc. Mais réserver des tables à celles et ceux qui ont un régime alimentaire particulier, c'est aller trop loin. Car, je le répète, l'entreprise n'a pas à entrer dans des considérations religieuses. Il faut donc que les managers sachent concilier le respect de la religion et le bien vivre ensemble.

Vous ne pensez pas qu’il soit nécessaire de légiférer ?

Isabelle Barth : Non, je ne le pense pas. Il existe suffisamment de marges de manœuvre, une loi ne ferait que rigidifier le système.

Propos recueillis par Raoul Malain

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