Gestion de l'entreprise

La chute de Nicolas Fouquet

Comment le surintendant des finances Nicolas Fouquet, formidable commanditaire capable d’engager dans ses projets, de responsabiliser et de motiver les plus grands talents de son temps, a-t-il pu tout perdre en quelques jours ? Un récit à méditer par tous les dirigeants.
#Inspiration #Organisation #Secteur public
13 décembre 2016

Comment le surintendant des finances Nicolas Fouquet, formidable commanditaire capable d’engager dans ses projets, de responsabiliser et de motiver les plus grands talents de son temps, a-t-il pu tout perdre en quelques jours ? Un récit à méditer par tous les dirigeants.

Le 17 août, à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France ; à deux heures du matin, il n’était plus rien. » Voltaire, Le siècle de Louis XIV

17 août 1661, 6 heures du soir.

Majestueux, le château de Vaux-le-Vicomte se dévoile comme un décor de théâtre. Son inauguration sera exceptionnelle. Les lumières flamboient, les feux d’artifices rivalisent d’éclat avec les jets d’eau des jardins. Le jeune roi Louis XIV est l’invité d’honneur.

L’équipe projet est au complet pour accueillir le monarque. Elle compte l’architecte Le Vau, le jardinier Le Nôtre, le peintre Le Brun, le maître d’hôtel Vatel. Ils ont relevé le défi lancé par le maître des lieux, le surintendant des finances Nicolas Fouquet : « Messieurs, je n’ai qu’un mot d’ordre : je veux de la grandeur. Innovez, sortez de vous-même ». Inflexible sur les délais et les budgets, Fouquet a su motiver ces hauts potentiels…

Le résultat est à la hauteur de ses espérances. Le cahier des charges est respecté : l’architecture qu’on appellera « classique », les jardins « à la française », le business model économique de la manufacture, la gastronomie, le service « à la française » sont nés ici, à Vaux-le-Vicomte.

La fête qui couronne cette réussite est digne d’un prince… Nicolas Fouquet fait visiter au jeune Louis XIV son « Palais des arts ». A l’aise parmi ses amis artistes, éloquent, érudit, passionné, il s’anime au récit de sa propre success story. Les beaux esprits de la Cour s’extasient, les compliments pleuvent. Cet homme d’influence, ce généreux mécène des arts et des lettres est au sommet de sa gloire.

18 août 1661, 2 heures du matin.

Au milieu de cet émerveillement collectif, personne ne remarque la fausse note. Louis XIV a pâli de jalousie et d’inquiétude. Le roi Soleil décide que son ministre des finances lui fait de l’ombre, il est monté trop haut. Et il actionne le piège préparé depuis des mois.

Le 3 septembre 1661, Fouquet est arrêté. Colbert le fait accuser de malversations. Le procès s’ouvre, le Surintendant évite la peine de mort de justesse. Il est enfermé à vie dans la forteresse de Pignerol, où il mourra en 1680.

Comment est-il possible que Fouquet, cet homme d’intelligence, d’influence et de réseaux, n’ait pas su détecter les signaux faibles ? "

Une formidable success story

« Quo non ascendet » (jusqu’où ne montera-t-il pas ?), c’est la devise de la famille Fouquet. Né en 1615 de riche commerçants, Nicolas Fouquet connaît une ascension sociale et politique fulgurante qui commence sous la Fronde (1648-1653). Elle se poursuit lorsqu’il est investi en 1653 de la prestigieuse charge de surintendant des Finances. Il obtient aussi la charge de Procureur général au parlement de Paris, qui le rend invulnérable. De plus en plus influent au sein du royaume, il est agile comme l’écureuil qui décore son blason familial. Ses réseaux s’étendent dans l’administration, la noblesse, le milieu financier et le domaine artistique.

Des signaux faibles négligés, et un piège insoupçonné

A la mort de Mazarin le jeune Louis XIV veut tout contrôler, en monarque absolu. Il suit l’avis du Cardinal qui lui a recommandé de se fier à Colbert, un homme cassant et peu bavard, que Madame de Sévigné a surnommé « Le Nord ».

Nicolas Fouquet, confiant dans son étoile, refuse de croire aux rumeurs d’intrigues dirigées contre lui. Il n’imagine pas non plus que les fortifications de ses domaines de Belle-Île et de l’île d’Yeu, puissent être perçues comme des menaces par un jeune roi encore traumatisé par la Fronde.

Enfin, le Surintendant ne soupçonne pas le machiavélisme du plan préparé par Colbert. Le roi propose à Fouquet le poste de Chancelier (deuxième grand officier de la couronne dans l'ordre des préséances), qui l’accepte. En contrepartie, il doit vendre sa charge de Procureur général à Paris. Il perd ainsi la protection de son statut de parlementaire… et on peut désormais lui intenter un procès. Réunies par Colbert, les éléments à sa charge sont prêts depuis longtemps. Nous sommes le 11 août 1661, Fouquet vient naïvement d’armer le piège que Colbert et Louis XIV lui ont tendu.

6 jours plus tard, à la fête de Vaux, Louis XIV appuie sur le détonateur.

Une morale (presque) à la manière de La Fontaine

- Dans sa compréhension, on n’oubliera personne : pratiquez la matrice intérêt/pouvoir pour déterminer qui informer, qui surveiller, qui intégrer à vos réussites.

- Penser le pire pour éviter qu’il ne s’accomplisse : sachez vous défaire de vos modèles habituels d’analyse en pratiquant le scénario catastrophe

- La loi du 360° est toujours la meilleure : pratiquez le 360° pour analyser comment votre management est perçu.

- Les gens sans bruit sont dangereux : méfiez-vous des silencieux ! Leurs attaques n’en sont que plus imprévues…

Lecture suggérée : Motiver comme Fouquet, Eyrolles, d’Anne Vermès, paru en 2013 chez Eyrolles. 

Avec la Petite histoire des Grands managers, nous vous proposons une fois par mois les expériences concrètes des leaders du passé, source intarissable de réflexion et d’inspiration pour les managers d’aujourd’hui.

Certifiée de lettres classiques, Irène Rousseau est formatrice-consultante chez Traits d’Unions, en charge de la production de contenus pédagogiques autour de problématiques managériales. Elle est co-auteure de l’ouvrage « Influencer comme Gandhi. Comment créer des relations positives et efficaces ? » aux éditions Eyrolles.