Ressources Humaines

Quand un collaborateur change de sexe

Que faire quand un collaborateur change de sexe ? Responsable du développement social et humain et de la déontologie chez RFF, Marie Savinas ne s’y attendait pas.
#Accompagnement du changement #DRH #Discrimination
15 janvier 2015

Que faire quand un collaborateur change de sexe ? Responsable du développement social et humain et de la déontologie chez RFF, Marie Savinas ne s’y attendait pas. Elle s’est vite aperçue que les dispositions réglementaires comme les retours d’expérience n’étaient pas légion. Mais la situation fut gérée avec bon sens et empathie. Récit en exclusivité.

Manager Attitude : Comment avez-vous appris qu’un des collaborateurs de l’entreprise désirait changer de sexe ?

Marie Savinas, directrice du développement social et humain et de la déontologie, RFF : Du fait de mon rôle, j’ai l’habitude que les collaborateurs de l’entreprise viennent me voir pour des sujets d’accompagnement personnel, en relation avec leur poste ou leur vie privée. Par ailleurs, les représentants du personnel sont également amenés à échanger avec moi, sur des sujets collectifs ou individuels touchant à la qualité de vie au travail.

Bienvenue chez les filles !

Quand ce collaborateur, qui est également élu du personnel, m’a demandé un rendez-vous, il n’en a pas précisé le motif. Comme il y en avait potentiellement plusieurs, je n’ai pas cherché à anticiper. De toute façon, je n’y serais pas parvenue ! Je ris encore de ma surprise de ce jour-là. Mais en même temps, j’ai été tout de suite extrêmement émue de la confiance qui m’était accordée. C’était très touchant, attendrissant même. Et c’est assez naturellement que quand il est sorti de mon bureau, je lui ai lancé « Bienvenue chez les filles ! »

Manager Attitude : Et quand la porte s’est refermée, que vous êtes-vous dit ? Que vous n’aviez pas de chance ? Ou le contraire ?

Marie Savinas : Je suis bien placée pour constater les dégâts liés à des erreurs de management. Et là, les risques potentiels paraissaient évidents. Sur le plan juridique, avec les risques d’accusation de discrimination sexuelle, mais aussi sur le plan humain.

Ma réaction a été de me dire : c’est bien la première fois qu’il m’arrive quelque chose de pareil ! Puis j’ai eu le réflexe de chercher des textes, des réglementations, de consulter des associations, et même un proche qui travaille auprès du Défenseur des droits.

Manager Attitude : Pour quels résultats ?

Je n'ai pas trouvé de retours d'expérience

Marie Savinas : Rien, ou presque. Il y a l’évidence, bien sûr, les grands principes comme la non-discrimination, ce qu’il ne faut pas faire. Mais quant à savoir ce qu’il faut faire… J’ai bien cherché pourtant ! Par exemple, à propos du changement d’identité, je n'ai pas trouvé de retours d’expérience. La question est pourtant d’importance : : aucune disposition législative ne traite du sujet spécifiquement. La jurisprudence pose le principe que pour un changement d’identité, le changement de sexe doit être irréversible. Cela prend du temps. Et en attendant, le collaborateur s’est engagé dans un processus visible. Alors, à quel moment lui dit-on « Madame » ?

Manager Attitude : Quelles réponses avez-vous finalement apporté à toutes ces questions ?

Marie Savinas : Il faut préciser que le collaborateur était très déterminé, avec son "plan d’action" en tête. Deux mois plus tard, il devait avoir une première opération chirurgicale. Cela signifiait un arrêt de travail de quelques semaines, à l’issue duquel il souhaitait revenir en tant que femme . Nous avons donc dû agir dans un laps de temps serré, en « mode projet ».

Je me suis chargée d’informer les membres de la direction générale. Le président a fait passer un message très clair aux managers : ils se devaient d’être particulièrement attentifs à éviter tout écart de comportement lié à cette situation, ce qui peut se reformuler en « cela ne doit pas constituer un problème ». Cela m’a permis de préparer au mieux la réunion cruciale qui devait se tenir avec le N+1 du collaborateur, avec lequel les relations étaient un peu tendues. Nous avons organisé le rendez-vous, sans en dévoiler le motif, mais sans chercher à l’inquiéter non plus. Et le jour dit, les choses se sont passées de façon admirable. Peut-être parce que quand l’humain, l’intime même, vient sur le devant de la scène, les différents professionnels passent naturellement au second plan.

Manager Attitude : Comment l’information a-t-elle été transmise à ses collègues ?

Marie Savinas : C’est l'intéressé lui-même qui s’est chargé de les prévenir avant son départ en arrêt maladie. Il a procédé par capillarité, en commençant par informer quelques femmes proches de son équipe, puis des petits groupes. Cela s’est très bien déroulé. Je n’ai pas eu à intervenir, mais il faut souligner que nous sommes à Paris, dans un milieu de cadres plutôt ouverts. Mais je l’aurais fait si nécessaire, car je crois qu’en la matière, il ne faut pas tolérer le moindre écart, notamment de langage.

Manager Attitude : Finalement, comment s’est passé son retour après l’opération ?

Marie Savinas : Très bien. Les résultats se voyaient sur son visage et, bien entendu, il y avait le changement vestimentaire. Quelques jours après son retour, un effet buzz s’est produit, assez positif. J’ai été personnellement questionnée par quelques collègues, de façon bienveillante. On m’a demandé si j’étais au courant, j’ai répondu oui, et cela s’est arrêté là.

Avant son retour, j’avais également constitué un petit groupe informel, notamment constitué de proches du collaborateur, occupant différents postes dans l’entreprise. L’objectif était à la fois de préparer son retour, par exemple sur les aspects matériels comme l’adresse mail,  l’intranet, mais surtout de constituer une cellule de veille et d’écoute pour suivre la manière dont se passait son intégration de femme dans l’entreprise, ce qui pouvait se dire. Le groupe s’est réuni pendant trois mois, avant de se dissoudre après avoir constaté qu’il n’y avait pas de problème.

Manager Attitude : Quel bilan personnel tirez-vous de cette aventure ?

Marie Savinas : D’abord, j’y trouve la justification même de mon poste, que j’apprécie parce que j’aime bien les gens, leur diversité, et leurs histoires différentes de la mienne. Ici ma mission a pu se focaliser, au-delà de l’écoute et de l’accompagnement, sur une dimension de protection de la personne, parce que nous touchions vraiment à l’intime.

L'entreprise devait faire bon accueil à celle qui avait choisi de devenir une nouvelle personne.

C’est en tous cas ainsi que je l’ai vécu, même si des personnes extérieures m’ont fait part de leur étonnement sur la façon dont tout ceci s’était déroulé, sans moments négatifs. Sans doute aussi parce que, dès le début, il m’a semblé évident que l’entreprise devait faire bon accueil à celui/celle qui avait choisi de devenir une nouvelle personne. Il ne faut toutefois pas s’en tenir qu’aux bons sentiments : pour réussir, il faut se préparer, s’organiser. Cela peut sembler de l’ordre du détail, mais lui préparer un badge avec son nouveau prénom, modifier son adresse mail, tout cela bien avant que la législateur ne nous y oblige, y a  beaucoup contribué. Et finalement l’entreprise y a gagné aussi, en tous cas ses collaborateurs.  Car la réintroduction de l’humain dans les relations professionnelles fait du bien à tout le monde.

 

Propos recueillis par François Jeanne, Manager Attitude.